Entretien avec: Johanna Gallard, Juillet 2018/ Sud-Ouest Le MAG

Si une artiste mérite un « cocorico » néo-aquitain, c’est bien Johanna Gallard. Fondatrice de le Cie Au Fil du Vent, elle vient introduire dans ses spectacles...des poules ! Cette semaine, elle joue « à domicile », au Festival des jeux du théâtre de Sarlat.

Sud Ouest Mag ». Plus de quinze ans que la compagnie existe, et on a pu voir votre évolution au fil de fer, votre spécialité. Tout à coup, vous revoilà avec des gallinacés ! Quelle poule….pardon, quelle mouche vous a piquée ?
Johanna Gallard. C’est toute une histoire. Je suis fildefériste depuis toute petite et je sentais, ces derniers temps, que j’étais arrivée au bout d’une séquence artistique. Alors je suis partie pour une formation de clown au Cnac, le Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne. Ça m’a permis de réapprendre à travailler au sol, parce que, paradoxalement, j’étais plus à l’aise sur un fil...Un jour, j’ai retrouvé mes amis du cirque Zampanos, qui travaillent un art du clown plein d’émotion, tout en finesse, avec quelques animaux dont un chien, un rat… et la poule Irène. Ça a été un coup de cœur : en allant chercher la remplaçante d’Irène dans le centre de la France, j’en ai ramené deux pour moi. Et aujourd’hui, l’équipe compte huit poules !

C’était en 2015-2016. Depuis, vous avez créé deux spectacles avec des poules. Qu’est-ce qui vous a séduite chez elles ?
En réalité, il y a trois spectacles. […] Les poules sont assez méconnues, en fait. Depuis qu’on les a domestiquées pour leurs œufs, elles sont trop bien nourries, se sont empâtées et ne volent plus très bien. Mais, avec un peu d’apprentissage, on peut leur apprendre à marcher sur un fil, et pas mal d’autres choses. Ces sont d’excellentes danseuses, en réalité ! J’ai trouvé qu’elles collaient bien avec la démarche du clown, celle de retrouver sa liberté essentielle, de se libérer des codes de la société. Et puis elle m’obligent à être dans l’instant, à être très précise et très réactive-parce qu’il leur arrive d’improviser ! Et, pour finir, elles me font beaucoup rire, et en public c’est un vrai bonheur. Je me suis complètement retrouvée dans mon art. […]

N’est-ce pas compliqué de travailler avec des poules ? N’avez-vous jamais eu de plaintes dans un contexte où les polémiques sur l’exploitation animale se succèdent ?
J’ai une façon très particulière de travailler avec elles. Je tiens compte du fait qu’elles sont très sensibles, émotives. Ce n’est sans doute pas pour rien qu’on parle de « poule mouillée » ! Alors je les fais travailler, oui, mais chacune en fonction de ses aptitudes, de sa personnalité. Elles font ce qu’elles aiment, par plaisir du jeu. […] Elles sont toutes différentes, et pas seulement à cause de leur espèce. J’en ai trois différentes, des poules soies, des croisées et une Araucana du Chili. Il y a Ginger, qui adore les courses-poursuites ; Malaga, qui a appris à défaire les lacets...ou encore Clémentine, l’Araucana, qu’on reconnaît bien à sa moustache...et ses œufs verts qui font toujours sensation !
En tournée, je suis toujours très attentive, j’emmène toujours leur chapiteau, leur « maison ». Je fais attention à leur repos, leur récupération. Et si l’une d’elles ne peut pas jouer le spectacle, parce qu’elle a envie de pondre par exemple, ce n’est pas grave, on improvise ! Souvent, j’ai l’impression d’être avec une équipe de sportifs de haut niveau, ou un groupe de rock stars (rires).
Alors, non, je n’ai jamais eu de plaintes. Je pense que mes poules comptent parmi les plus chouchoutées de France. Elles sont comme des coqs en pâte, enfin, des poules en pâte ! C’est même plutôt l’inverse qui se produit : beaucoup de gens viennent intrigués, pensant que ses animaux sont bêtes. Le fait de les voir, si douées et épanouies, c’est porteur d’émotion, ça déclenche l’empathie et l’échange à la fin du spectacle. [...]


Propos recueillis par Sébastien Le Jeune, Sud-Ouest Le Mag, 21 juillet 2018

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