L'Envol Mimos Juillet 2017
Les poules marchent sur le fil et la Fourmi vole
Petite halte à Mimos, son festival In et son festival Off. Rencontre avec Johanna et ses cocottes, funambules, artistes au bec fin.
« Bravo, les poulettes, vous avez été formidables ! » Johanna remercie ses partenaires de scène. La fondatrice et metteur en scène de la Compagnie Au Fil du Vent, a tendance à se comporter en mère poule avec ses compagnes de jeu. Hier, les cinq interprètes ont tout donné sur scène. Et ce mercredi, elles remettent ça, à 11 et 15 heures, affiche du In du festival Mimos, dans la chapelle du lycée Bertran-de-Born, à Périgueux. Leur spectacle est intitulé « L'envol de la Fourmi ».
Aux côtés de Johanna, il y a Malaga, la plus costaud de la bande et celle qui a le premier rôle ; Ariane, pilier de la compagnie, qui a laissé quelques plumes ces dernières semaines lors d'un arrêt-maladie traînant en longueur ; Janis, l'intenable, prompte à sautiller partout et parfois à piétiner les autres ; Saqui, la brunette qui tous les jours sur scène fête son anniversaire ; et Ginger, la pépette blonde, un brin punkette, qui ne se laisse pas facilement dompter. De toutes les façons, Johanna n'a pas l'intention de mener sa troupe à la baguette. Ici, l'équilibre de chacun est respecté et le jeu est ce qui réunit les poulettes et la Fourmi.
Le gallinacé lui a tapé dans l'oeil.
Ces poulettes-là n'ont pas de dent (toujours pas), portent des plumes, sont courtes sur pattes, picotent du pain dur et surtout marchent sur un fil. Oui, oui, sur un fil ! C'est Johanna qui leur a fait goûter ce dada peu commun. Il faut dire que cette presque quadra joue les funambules depuis l'âge de 7 ans. L'exercice est devenu sont ADN. « A 3 ans, j'ai vu un spectacle dans un petit cirque familial : le cirque Patoche. La révélation ! » Johanna décide que se vie tiendra au fil et aux tournées en caravane, sur les routes. Pari gagné. Quelques années passées sur la piste de la famille Bouglione et voilà la jeune funambule qui décide de voler de ses propres ailes.
Elle crée sa compagnie Au fil du vent à Aubervilliers, avant de choisir de faire son nid en Dordogne, il y a un peu plus de 10 ans. « Je voulais faire rire et pleurer sur le fil. Sortir de la prouesse physique pour toucher l'émotion. Et géographiquement, j'avais envie d'évoluer dans la nature avec une certaine qualité de vie. » Et puis, arrive ce jour où l'artiste rencontre Irène et tout bascule. « Irène, c'est le nom de la poule qui évoluait dans une troupe que je croisais souvent sur les festivals. Michel, son fondateur, m'a présenté Irène. Et ma vie a changé. »
Johanna a vu dans le gallinacé un potentiel funambule et un vrai compagnon de scène. Elle a donc commencé par adopter Ariane et rapidement la famille s'est agrandie. « Depuis, je me lève et me couche comme les poules. Elles évoluent en liberté dans mon jardin et tous les jours… on joue. » Au fil des mois, les cuissots des poulettes se sont musclés et une patte devant l'autre, elles évoluent telles des danseuses emplumées sur une ligne d'horizon en acier, à quelques dizaines de centimètres du sol.
Johanna a vu dans le gallinacé un potentiel funambule et un vrai compagnon de scène.
Johanna, elle, joue la Fourmi, ce personnage clownesque qui rêve de se voir pousser des ailes aux côtés de ces cocottes, qui elles aussi, s'imaginent conquérir les airs. « En fait, l'idée du spectacle m'est venue en redécouvrant l'histoire des poules… la vraie. Elles descendent des dinosaures et à cette époque, elles pouvaient voler. La domestication a transformé leur corps et leur a coupé les ailes... » Allégorie sur une société qui nous conditionne à être ce pourquoi nous ne sommes pas faits. La Fourmi et ses copines sont complices durant 35 minutes dans une quête de liberté.
Dans les gradins de bois, le public reste bouche bée. Quand elles ne déambulent pas sur le fil, Malaga, Ariane, Janis et leurs copines jouent à cache-cache avec la Fourmi, montent des marches quand la main du clown fait mine de leur ordonner de les descendre, cachent leur bec dans une valise, délacent le nœud d'un cadeau, sautent d'un tabouret à l'autre, grimpent comme on escalade un pic le dos humain, remuent des ailes, gloussent à l'unisson avec le public et parfois même lâchent un œuf.
Un chapiteau sur tapis vert
Une histoire sans parole mais résolument pas sans émotion. Tout Mimos. Un festival de mimes, de gestes, où le corps est la voix et donne le ton. Une fois les 35 ou 37 minutes de spectacle écoulées, - « selon que les poulettes choisissent d'improviser sans crier gare ou pas » - celles-ci regagnent leurs loges, un chapiteau sur tapis… impérativement vert ; « Depuis la création du spectacle à l'Agora de Boulazac en janvier dernier, nous avons fait une cinquantaine de représentations. Le plus dur, c'est dans les grandes villes… pas facile de trouver un coin d'herbe sans pesticide et sécurisé pour installer le chapiteau des poulettes. A Lille, par exemple, j'ai préféré louer un gîte en dehors de la ville. »
Sur scène, aussi, il faut composer avec les besoins du volatile. « Avant quand il faisait trop chaud, je posais des petits ventilateurs mais je me suis renseignée depuis, c'est mauvais pour leurs bronches. Nous avons donc équipé les petites boîtes où elles patientent avec de la glace. »
Il faut également mettre de la lumière dans lesdites boîtes pour éviter qu'elles ne piquent du bec et s'assoupissent. « Et si sur scène elles ne font pas ce qui était prévu, ce n'est pas grave, j'enchaîne. De toutes les façons je leur ai appris à désobéir. » Et la magie opère. L'émotion est bel et bien là. Salut final ! La Fourmi lâche le fil. Les poulettes sont épuisées. Quelques vers séchés, un bout de brioche et au lit.
Valérie Deymes, Correspondante à Périgueux, pour le Journal Sud-Ouest.